Il y avait

Y’avait le sud
Le Lac de Saint-Croix
Les cris, les disputes et la joie
Y’avait les Tic Tac oranges
Y’avait le vin de Tourtour et les étiquettes faites à la main
Y’avait l’odeur du melon dans la voiture
Et Mike Oldfield et les Beatles qui tournaient en boucle

Y’avait le chemin vers le Sint-Josef School
Y'avait l'avenue Paul Deschanel, le parc Josaphat
Y'avait Papy, y'avait Mamy en chaise roulante
Y'avait les grands sapins de Noël que maman décorait 
Et la dinde que papa préparait
Y avait les cadeaux

Y’avait les escaliers qui grinçaient
Y’avait la sonnette qui sonnait fort
Et le jardin en fleur 
Y’avait les balançoires qui ont fait notre plus grand bonheur
Y’avait les goûters quand on rentrait de l’école
Y’avait Sinterklaas qui semait le désordre dans le salon
Y’avait les glaces au sirop de menthe que papa préparait
Et l’odeur de la maison en été

Y’avait les archives de l’État, 
Y’avait son patron, je ne sais plus trop quoi
Y’avait les caves : à provisions, à outils, à archives, la sous-cave et le reste 
Y avait le bureau de papa, la caverne d’Alibaba 
Y’avait le carrelage ocre et brun dans lequel on voyait des dessins
Y’avait la cloche pour quand on mangeait
Y’avait les places attribuées à table
Papa à ma gauche

Y’avait la Multipla et la Tempra
Y’avait les petites sœurs qu’on allait voir dans les couvents
Et qui nous faisaient la fête pendant que papa triait leurs archives 
Y’avait le sport à la télé le weekend
Et les playmobils étalés dans tout le rez-de-chaussée 
Y’avait les mandarins
Y’avait la tristesse de papa quand l’un d’eux mourait 
Y’avait leurs enterrements

Y’avait les fauteuils rouges du salon
Les apéros 
Les photos des défunts sur le petit meuble
Le tableau avec la tresse qu'on voulait tous avoir plus tard
Y’avait le regard de papa dans le vide 
Et y’avait nous cinq

Y’avait le "Si un jour" et les quoi, quand, comment
Y’avait papa endormi dans le canapé au Noël Coelenbier
Y’avait l’odeur de la pipe qui embaumait toute la maison
Y’avait la musique de ses vinyles 
et la lumière du bureau allumée jusque tard dans la nuit
Y’avait papa qui mettait de l’ordre
Y’avait papa dans ses affaires 
Et puis Saint-Hubert 

Y’avait les réunions scouts et les fêtes d’unités
Y’avait les spaghettis du vendredi soir 
Y’avait les soirées en ville 
Et le gouda qu’on faisait fondre dans le microonde en rentrant
Y’avait papa qui s’effaçait de plus en plus 
Y’avait les deux trains de vie 
Y’avait lui là-bas et nous à Bruxelles

Y’avait les blocus, 
Y’avait papa qui aidait avec les rapports de stages et le mémoire 
Et qui disait « Faut que tu aies confiance en toi ma fille »
Y’avait l’Irlande
Et Billy Joe
Y'avait le bar La Couronne
Et papa qui attendait
Y’avait son anxiété 
Y’avait plus grand-chose qui allait
Je ne sais même plus trop quoi, pourquoi
Mais y’avait plus que ça 
Y’avait sa tristesse quand j’ai déménagé 
Y’avait ses cris nerveux dans l’escalier 
Y’avait les « Mais non de dieu de non de dieu de non de dieu va » 
quand les choses n’allaient pas
Y’avait ce jour d’aout 2017 où il est venu me dire au revoir 
au départ de mes vacances
Je pense qu’il savait déjà 

Y’avait ce début d’année académique là 
Et ces mauvaises nouvelles 
Y’avait les archives des sœurs léguées à quelqu’un d’autre
Y’avait la fermeture de son dépôt d’archives, et je sais même plus 
Y’avait cette visite au cimetière de Laeken le 1 novembre 
Y’avait ce verre qu’on a bu et où je me suis énervée sur lui
Y’avait cet au revoir banal
Y’avait cette dernière fois

Y’avait l’appel dans le métro vers 15h
Y’avait le Samu qui ne voulait pas me dire de quoi il s’agissait
Y’avait finalement le « Votre papa n’est plus avec nous »
J’avais compris 
Y’avait l’attente interminable du taxi pour arriver à la maison
Y’avait la porte ouverte et les policiers dans le couloir
Y’avait la carte d’identité de mon père sur la table 
Y’avait maman assise sur un des fauteuils rouges du salon

Y’avait nous au commissariat 
Y’avait l’attente interminable 
Y’avait les allers-retours aux toilettes
Et ma tête toute rouge dans le miroir 
Y’avait le choc
Y’avait le convoi vers chez Bonne Mamy dans la nuit
Y’avait ce verre où on a même ri 
Y’avait le retour à la maison
On avait peur, on n’avait pas envie 
Et puis y’a eu la première nuit sans lui où j'ai compris que cette vie-là était fini.

J’adore les matins
Au bar des Ormeaux

Petit cabanon
L’été fut
Si on m’avait dit